"La plus grande richesse qui m’a été donnée, c’est l’amour de mes parents. Aujourd’hui, si j’en suis là, c’est grâce à eux !" explique Laurent Abrivard. Né à Angers en 1968, il est le benjamin d’une fratrie de sept enfants. Son papa, Léon, fait du commerce de chevaux et en entraîne quelques-uns jusqu’à ce que deux de ses fils, Loïc et Yvonnick, fassent grandir l’effectif en se lançant dans le métier. Le petit Laurent, lui, boude un peu ses cahiers et se voit bien faire comme ses grands frères. Alors à 14 ans, il rejoint l’AFASEC de Graignes : "La première année, nous n’étions qu’à l’école et à cette époque, on ne rentrait chez nous qu’une fois par trimestre. J’ai fait l’armée après et j’ai trouvé ça plus facile que mon apprentissage… !". Gérard Mottier, le grand-père de Mathieu, devient son premier patron. Réputé pour former des apprentis "monté", il se passe plusieurs mois avant qu’il ne mette l’adolescent sur un sulky. "Le rythme des courses n’était pas aussi soutenu que maintenant. Il se passait 4 à 5 ans avant qu’on devienne professionnel. C’était une bonne chose, car on avait plus d’expérience et on était sans doute plus performant une fois pro." Son service militaire effectué, Laurent travaille ensuite pour le propriétaire Didier Van Themsche, puis chez Ulf Nordin.
C’est alors qu’en 1992, à 24 ans, il décroche une victoire dont toute la famille Abrivard rêve depuis longtemps : le Prix de Cornulier, avec Voici du Niel pour son patron. "J’avais 7 ans et je repassais la cassette en boucle, se souvient Matthieu Abrivard, neveu et filleul de Laurent. Il avait gardé le bras levé du poteau jusqu’en bas de la descente, et il se tapait sur le casque comme si ce n’était pas réel ! " Comme un clin d’œil, Laurent offre à Matthieu sa première selle de course : "J’avais 13 ans. Il m’avait dit que je la garderai toute ma vie. Et il avait raison car c’est avec elle que j’ai gagné les trois Cornulier de Jag de Bellouet !".
Fort de ce premier gagnant au niveau Groupe 1, Laurent ne tarde pas à prendre une décision qui va donner une autre envergure à sa carrière : devenir aussi entraîneur.
"Je ne me voyais pas intégrer une nouvelle écurie et tout recommencer " lâche le professionnel. Nous sommes en 1994 quand, Laurent et son épouse Valérie se lancent dans cette nouvelle aventure, leur fils aîné Alexandre d’un an et demi sous le bras : "Quand j’y repense ! Heureusement qu’on n’a pas réfléchi. On a commencé avec trois chevaux seulement !" remarque Valérie en riant. Confiant, Laurent sait qu’il pourra toujours compter sur sa selle "pour mettre du beurre dans les épinards" comme le souligne celle qui l’a toujours soutenu. Le jeune entraîneur pose d’abord ses malles dans l’établissement de la Marquise de Moratalla, en Seine-et-Marne, sans savoir qu’il va y rester 17 ans. Tout de suite, les propriétaires pour qui il a gagné en tant que jockey lui font confiance, à l’image de Christian Germain. Deux ans s'écoulent, Laurent décroche déjà son premier Groupe 1, sous "sa" selle : le Prix de Normandie, avec Destin de Busset pour le propriétaire Michel Bekhit. Prix du Calvados, Prix des Elites, Prix de Vincennes, Prix Albert Viel, … Les victoires de Groupe 1 et de Groupe 2 s’enchaînent entre 1997 et 2010. "Tout au long de ma vie, j’ai eu la chance de rencontrer les bonnes personnes au bon moment. Et après 27 années en tant qu’entraîneur, mes plus anciens propriétaires sont toujours là !", précise modestement Laurent.
Mais cette réussite semble aller au-delà d’une bonne étoile. Toute sa famille et son entourage sont unanimes : l'homme est un acharné du travail. Même son fidèle ami, Jean-Michel Bazire, le reconnaît : "Il est pire que moi ! Il est casse-pied avec ça !". En plus de partager "les mêmes valeurs du travail, du respect du cheval et des gens", les deux hommes ont rapidement fait équipe en piste. "On s’est connus apprentis et on s’est tout de suite plu. Plus tard, je me suis mis à driver ses chevaux et lui à monter les miens. Il n’était pas facile à battre à la lutte, on le surnommait la "tenaille" ! " Si Laurent a en mémoire la victoire de Jean-Michel et Meaulnes du Corta dans le Prix de Sélection (Gr.1) 2004, ou encore l’exceptionnel meeting d’hiver 1996/1997 de son ami et Extra de la Loge, l’homme aux 20 Sulky d’Or n'a lui qu’un seul regret : le Cornulier manqué de Jardy en 2003. Dix-huit ans plus tard, cette disqualification n’est qu’un mauvais souvenir qui n’a jamais abîmé le lien qui unit les deux professionnels : "On s’est mariés, on a chacun eu nos enfants, on ne s’est jamais quittés. On ne partage pas une amitié exubérante, mais il a toujours été de bons conseils pour moi, comme j’ai toujours été de bons conseils pour lui", ajoute Jean-Michel.
Travailleur, loyal, Laurent a aussi montré, dès ses débuts de metteur au point, qu’être dans la lumière n’était pas sa priorité. S’il ignore avoir gagné 2 148 fois en tant qu’entraîneur et 1 054 fois en tant que pilote, il reconnaît volontiers avoir privilégié la préparation à la compétition. Un choix qui lui a aussi permis de voir grandir ses trois enfants : "Bien sûr, il n’était pas là à la sortie d’école, précise Léo, mais le soir, nous mangions quasiment tout le temps ensemble et nous partions tous les ans huit jours en vacances". Une organisation qui était aussi possible grâce au dévouement de Valérie comme le souligne Laurent : "Ma femme a fait toute l’éducation d’Alexandre, de Justine et de Léo. Je n’ai rien manqué de leur enfance car elle montait volontiers dans le camion avec eux le week-end pour aller aux courses".
Remise de l'Etrier de Bronze 2015 à Alexandre Abrivard
Le couple Abrivard a donc trouvé son rythme. Ils ne manquent ni de réussite, ni de propriétaires, mais de place pour accroître leur élevage. En 2011, Laurent et Valérie quittent donc la région parisienne.
C’est à Bouloire, dans la Sarthe, qu’ils décident d’acheter une propriété pour bénéficier d’un cadre plus vaste et pour se rapprocher des étalons. L’élevage se développe comme souhaité, mais contre toute attente, le nombre de chevaux à l’entraînement augmente. Loin d’être effrayé, le patron prend le temps de façonner chaque cheval de son effectif. "Il est très patient et il arrive toujours à amadouer les difficiles", remarque son épouse. Comme il l’a fait quelques années auparavant avec Fan Quick qui était passé tout près de son Cornulier, Laurent s’attarde sur le cas d’un cheval difficile nommé Bilibili. Après quelques ratés, le mentor s’accroche et finit par dévoiler le potentiel du fils de Niky et de Quetty du Donjon. En 2015, le cheval remporte son premier Groupe 1, le Prix du Président de la République, le premier aussi du jeune jockey sur son dos : Alexandre Abrivard.
Bilibili lors de sa première victoire de Cornulier en 2019
Là encore, le hasard n’a pas sa place dans la réussite de Laurent Abrivard. En revanche, le détail a toute son importance : "Pour réussir à ce niveau et durer, bien sûr il faut travailler, mais il faut aussi avoir ce truc en plus. Ce petit détail que lui voit, mais que nous, nous ne voyons pas", précise Alexandre. Avec son frère, il ne remet jamais en cause les décisions du patriarche : "Le matin sur la piste, aucun de nous n’est capable d’aller plus vite que lui, ajoute Léo. On trouve normal qu’il prenne la décision finale, car il a le plus d’expérience. Et quand on n’est pas d’accord avec lui, on s’aperçoit souvent qu’il a raison...". Avec le respect et l'amour comme fondements de la famille, on comprend mieux où le clan Abrivard puise sa force.
À 53 ans, Laurent Abrivard est encore plus matinal et travaille encore plus. Pour son épouse, impossible de l'imaginer lever le pied : "Plus tard, je pense qu’il aura du mal à arrêter. En tout cas, ce n’est pas pour maintenant, il a des projets comme un jeune de 30 ans : il vient d'ailleurs de faire construire un nouveau barn ! ".
Sophie Clément (Equidia)